Tu détestes la Saint-Valentin, Launce.
Tu l'as toujours détestée.
La détestera probablement toujours, vu comment c'est parti.
Et honnêtement,
t'as été ravi.e de la passer aux côtés de Baal cette année.
Parce qu'elle a clairement égayé d'autres trucs que ton lit, cette soirée-là.

Mais lorsque tu as reçu le message de Félix – juste après le 14 février – lorsque tu l'as lu plusieurs fois jusqu'à ce que ton cerveau capte réellement ce qu'il était en train de te proposer, t'as senti ton cœur s'affoler dangereusement, tes joues chauffer comme si tu avais reçu ton premier baiser, et l'espoir remuer au fond de tes entrailles comme un serpent qui sortirait d'hibernation. C'est juste une proposition de passer une aprèm à la fête foraine, pourtant ; rien de très particulier, juste deux vieux ami.e.s qui sortent ensemble, vont s'amuser, effacer le quotidien du métro-boulot-dodo le temps de quelques heures dans des attractions.
S'amuser.
Se goinfrer de sucre, peut-être.
Profiter.
Rigoler.
Tu ne peux pas tomber encore plus amoureux que tu ne l'es déjà de toute façon, n'est-ce pas ?
De toute façon, faut que tu te rappelles qu'il voit déjà les couleurs ; et que ça n'est assurément pas pour toi. Ca ne peut pas être pour toi. Parce qu'il est parti, s'est éloigné de toi il y a des années de ça – et on ne s'éloigne pas des gens qu'on aime, normalement. Enfin, faut dire, tu l'as bien laissé faire, toi. En fait, tu n'es sûr.e de rien. Tu ne veux pas faire grandir tes espoirs qu'il voit les couleurs pour toi, tu sais que tu finirais dévasté.e si jamais il s'avère que Félix aime quelqu'un d'autre et qu'il n'a jamais été question de toi dans cette équation. Il s'agit de quelqu'un de merveilleux ; brillant, solaire, tendre comme la caresse d'un vent d'été. Il a forcément attiré d'autres gens durant toutes ces années. Ce n'est pas quelque chose dont vous parlez, les amours et les corps rencontrés ; toi, surtout, tu fuis clairement ce genre de conversations, refuses d'en entendre parler.
C'est aussi pour cela que savoir qu'il voit les couleurs te fait si mal.
Mais au fond, tout au fond – tu espères qu'il les voit pour toi quand même.

Il y a foule en ce week-end de février, forcément. Tu es arrivé.e à l'entrée de la fête foraine les mains dans les poches, mais très vite, ton rayon de soleil les a fait sortir de leur cachette de tissus pour te tirer vers une des tentes des voyantes présentes tout le temps de la fête. « Fée t'es sûr que c'est une bo... » Mais il ne t'écoute pas vraiment et ta phrase se meure lorsque le rideau de la tente est décalé par ton ami pour que vous puissiez y entrer. T'es anxieux.se, Launce ; t'es pas certain.e de croire à ce genre de choses, normalement, mais tu as l'impression d'être toujours oblivious quand il s'agit de Félix et qu'il n'y a pas besoin de pouvoirs occultes pour révéler tes sentiments au grand jour.
Et clairement...
Tu penses pas être prêt.e pour ça.

« B'jour... » Que tu lances malgré toi, dans le creux de ta barbe inexistante ; parce que t'es ronchon.ne mais que tu n'as plus le choix, maintenant. Et tu perds ton regard sur ton environnement pour éviter d'avoir à affronter le sourire solaire de Félix, puis sur la voyante en face de vous, l'analysant déjà de haut en bas d'un regard légèrement méfiant.

Forcément, il faut qu'elle s'approche de toi. Elle fait la même chose que ces foutus chats ; s'intéresser à ceux qui ne les aiment pas.
Bon, toi, tu adores les chats, en vérité. Du coup ils te calculent pas, la plupart du temps.
Et c'est pas vraiment que tu ne l'aimes pas elle, non plus ; c'est plutôt, surtout que tu n'es pas à l'aise, ici. Parce qu'elle peut à la fois être l'arnaqueuse du siècle et vous faire perdre votre temps qu'être une véritable voyante et révélez des trucs que t'es pas certain.e de vouloir savoir ou divulguer – et franchement, aucune des deux options ne te botte le moins du monde. Dalia, puisqu'elle se présente ainsi, te tend la main et tu n'hésites pas un instant avant de caler ta paume rugueuse contre la sienne dans une poigne ferme, mais brève. Tu laisses ton meilleur ami vous présentez à votre tour, il a toujours été plus doué en sociabilité que toi ; cela se voit rien qu'aux gueules opposées que vous tirez, de toute façon.

La voyante vous invite à vous installez dans les canapés installés pour l'occasion et tu captes bien le regard mi-désolé mi-taquin de Félix qu'il te lance au moment où vous vous avancez. Tu lèves les yeux au ciel en réponse, mais ne peux empêcher un petit sourire apparaître au coin gauche de ta lèvre, là où il peut le voir ; parce que jamais tu ne pourrais lui en vouloir de t'entraîner dans ses bêtises. Tu le suivrais jusqu'au firmament s'il le voulait et encore mieux, tu le ferais avec plaisir. Parce que t'as toujours eu besoin qu'on te bouscule pour faire des choses, pour que tu t'autorises à vivre un peu, à prendre des décisions sur un coup de tête, à vivre un peu.

Vos fesses posées sur le moelleux du canapé, Félix reporte son attention sur Dalia pour lui demander ce que vous deviez faire – mais toi... Toi, t'as pas lâché Fée du regard depuis son œillade. T'as essayé, mais t'as pas vraiment réussi. Tu repenses à la remarque d'Eva sur les couleurs qu'il voit et dont il ne t'a pas parlé. Tu repenses à sa dernière visite au garage, à cette envie dévorante de l'embrasser dès qu'il est un peu trop proche de toi. Tu te rends d'ailleurs compte qu'il garde ses distances avec toi aujourd'hui, que la place vide entre vous commence à prendre beaucoup trop de place dans ton cœur, qu'elle le compresse douloureusement.

Tu fronces les sourcils sous la douleur.
Détournes la tête pour te forcer, enfin, à regarder de nouveau la voyante.
« Ou alors moi j'ai besoin de rien faire car la poignée de main, c'était déjà pour lire dans mon âme ? » Tu tentes un trait d'humour, même si tu as toujours ce petit côté renfrogné, l'ironie reste toujours ta deuxième armure.